Alors que le sucre et les produits sucrés sont de plus en plus consommés dans le monde,1 les industriels de l’agro-alimentaire recherchent de nouveaux édulcorants, moins caloriques et dont l’innocuité est avérée. On appelle édulcorant tout ingrédient destiné à améliorer le goût d’un aliment ou d’un médicament en lui donnant une saveur sucrée. Depuis l’apparition des premiers édulcorants de synthèse (la saccharine en 1880), c’est à partir des années 1960 que ces ingrédients se sont largement installés dans nos habitudes alimentaires avec notamment la découverte majeure de l’aspartame en 1965. Ce dernier est aujourd’hui présent dans près de 5000 produits alimentaires, mais cette molécule de synthèse fait polémique quant aux nombreuses études scientifiques qui ont visé à démontrer son innocuité ou au contraire ses méfaits sur la santé. Peu chers à produire, peu caloriques et possédant un grand pouvoir sucrant par rapport au sucre de table dont la molécule sucrante est le saccharose, les édulcorants synthétiques se sont fait une place dans notre quotidien et nous permettent de consommer plus de sucré pour moins de calories.

Surfant sur la vague du bio et du naturel, de nouveaux édulcorants d’origine naturelle se développent, lentement mais sûrement, et pourraient peut-être remplacer leurs prédécesseurs d’origine synthétique. Parmi ces ingrédients naturels, on peut citer le miel, le sirop d’agave, le tagatose, et la Stévia. Le miel (dont les propriétés antiseptiques et antioxydantes bénéfiques pour notre santé ne sont plus à prouver) reste suffisamment compliqué à produire, et surtout possède un goût trop prononcé (heureusement d’ailleurs…) pour pouvoir remplacer, à un niveau industriel, les édulcorants de synthèse.2 Le sirop d’agave, extrait de la plante Agave tequilana originaire du Mexique, a lui aussi un grand pouvoir sucrant et un index glycémique bas, mais comme le miel et les fruits, il contient essentiellement du fructose dont la consommation doit rester modérée.
Le tagatose (ou galactulose), qui est un hexose, est présent dans le lait et peut être produit en grandes quantités par isomérisation du galactose. En plus de propriétés probiotiques et antioxydantes, il pourrait aider à traiter le diabète de type 2 en réduisant le taux de glucose dans le sang, ainsi que favoriser la perte de poids ou encore une élévation du taux de cholestérol HDL (transporteur du « bon » cholestérol).3 Son utilisation actuelle est cependant limitée à 1 % dans les boissons, et à 10-60 % selon le type d’aliment (barres énergétiques allégées, chewing-gums sans sucre…) malgré son obtention du statut généralement reconnu comme sain (Generally Recognized As Safe) par l’administration américaine des aliments et des médicaments (Food and Drug Administration), en 1999.

La Stévia est extraite d’un arbuste d’Amérique du sud, la Stevia rebaudiana, et correspond à un hétéroside (ose condensé avec une substance non glucidique), le rébaudioside A. Ce dernier détient un pouvoir sucrant 300 fois supérieur au saccharose et n’apporterait pas de calories.4 Alors qu’il est consommé au Japon depuis plus de 30 ans, il peine à s’installer en Europe. Son innocuité n’ayant pas été prouvée auparavant, c’est seulement depuis 2009 que le rébaudioside A est autorisé en France comme complément alimentaire, et depuis 2010 comme additif à la fabrication de certaines denrées alimentaires telles que les boissons.5 Sa difficile insertion dans le marché européen des édulcorants serait en partie due, en plus de son prix élevé, aux grands groupes de l’agro-alimentaire qui feraient pression pour qu’il ne puisse remplacer les édulcorants artificiels, notamment l’aspartame. Les groupes Coca Cola et Pepsi Cola ont par exemple chacun sorti un édulcorant dérivé de la Stévia6 – respectivement Truvia et PureVia – alors que sa forme naturelle est encore interdite aux Etats-Unis, leur permettant ainsi d’exploiter cet édulcorant naturel de manière exclusive7 (la brevetabilité d’une substance naturelle étant impossible). De plus, même si son innocuité semble avoir été démontrée, il semble ne pas supporter les températures dépassant les 100°C, où il se décompose se transformant en de nouvelles molécules ; beaucoup de pays rechignent donc toujours à l’autoriser sur le marché.
Ainsi, même si l’on peut affirmer que « naturel » ne garantit jamais « sain », il est difficile de faire la part des choses entre les différentes législations ou études scientifiques et leurs intérêts sur un sujet aussi rentable que celui des produits au goût sucré – le marché des édulcorants étant estimé à 1,5 milliards de dollars. Le meilleur choix à faire pour s’assurer une bonne santé tout en prenant du plaisir à manger semble donc être fait de modération et de doute. Mais on peut être sûr d’une chose, c’est que les industriels de l’agro-alimentaire mettront toujours la santé en priorité, surtout s’il s’agit de celle de leur porte-monnaie…
Images
Agave tequilana by Juan Ignacio/Flickr. [cc]by-sa[/cc]
Stevia rebaudiana by lskrida/Flickr. [cc]by-nc[/cc]
Bibliographie :
1 : Tous dépendants au sucre ? La Recherche n°443 : 70-73. Juillet –Août 2010. http://www.inb.u-bordeaux2.fr/siteneuro2/pages/archiindex/Ahmed07/LR_443_070addiction.pdf
2 : http://www7.inra.fr/internet/Directions/DIC/presinra/SAQfiches/miel.htm
3 : http://lepharmablog.blogspot.fr/2008/02/le-tagatose-antidiabtique-et-anti-obsit.html
4 : http://www.rue89.com/2010/02/08/la-stevia-ledulcorant-naturel-qui-menace-laspartame-137361
6 : http://www.bevnet.com/news/2008/12-17-2008-Sprite_green_truvia_coca-cola.asp