Récits, photos, témoignages…
La coévolution désigne un mécanisme d’évolution d’espèces différentes qui a lieu de manière conjointe et synchrone. Si l’on songe que l’évolution agit en sélectionnant des organismes par rapport à d’autres au cours du temps, on pourrait être amené à se dire que l’évolution implique toujours une coévolution. C’est pourquoi les biologistes de l’évolution ont restreint cette définition : la coévolution évoque deux populations distinctes, chacune soumise à un ensemble de contraintes qui leur sont propres et dont les histoires évolutives peuvent se croiser et s’influencer. De ces relations peuvent émerger une spécialisation, un mutualisme, voire une cospéciation (lorsque deux espèces émergent réciproquement l’une «grâce» à l’autre). On caractérisera donc ces relations en fonction de leur intensité et de leur nature. Cependant, la coévolution repose aussi sur une base génétique : «dans une relation plante-insecte, il faut démontrer qu’il existe une relation causale entre une action sélective exercée par l’insecte et une caractéristique de la plante et réciproquement».[1]
Beaucoup d’insectes ont développé avec les fleurs une relation particulière en s’intégrant à leur mode de reproduction grâce à la pollinisation. De nombreuses familles de plantes sont devenues entomophiles lors de leur histoire évolutive, c’est-à-dire qu’elles ont été, à un moment donné, pollinisées par un insecte. Un insecte transporte des grains de pollen depuis une étamine vers un stigmate. En échange de ce transport actif, l’insecte peut prélever du nectar, substance très nutritive secrétée par les nectaires au niveau de la fleur. On note un grand nombre d’Angiospermes pollinisées par de nombreux ordres d’insectes parmi lesquels figurent les Lépidoptères (papillons), Hyménoptères (abeilles et guêpes), Diptères (mouches) et Coléoptères.


Le concept de coévolution a été introduit par Ehrlich et Raven en 1964[1] pour modéliser les relations particulières développées entre certains Lépidoptères et variétés de plantes. Cette coévolution a pris diverses formes assurant aux plantes et insectes concernés de tirer le meilleur parti de cette relation privilégoée, dictée par l’évolution et la sélection des organismes les plus adaptés.
De la séduction entre plantes et insectes : quelques mots doux ne font pas de mal
Tout d’abord il faut savoir que les fleurs et les insectes se parlent ! Et leurs langages sont tout aussi complexes et diversifiés que les nôtres. Les fleurs, pour attirer les insectes, se transforment en véritables «panneaux publicitaires» peut-être pour leur indiquer qu’elles possèdent du nectar ou du pollen et comment s’en procurer.
Il existe ainsi de nombreuses fleurs ont évolué pour former des inflorescences en capitules ou encore arborent des couleurs vives pour se démarquer. Les insectes perçoivent les ultra-violets mais pas le rouge, et certaines fleurs ont évolué de manière à devenir rouges après fécondation, se rendant ainsi invisibles pour les insectes qui se concentreront sur d’autres fleurs aux alentours à féconder. Ceux-ci n’ont bien sûr pas conscience de leur acte de pollinisation et sont seulement à la recherche de nourriture. Les fleurs doivent donc développer des stratégies si elles veulent que l’un d’entre eux se pose et prélève le précieux pollen, garant de la survie de leurs gènes. Vincent Albouy, attaché au laboratoire d’entomologie du MNHN de Paris nous parle dans un article intitulé Les fleurs parlent aux insectes,[2] de la fleur d’onagre : « [cette fleur] nous apparaît d’un jaune uni ; pas de traces de signaux à nectar. En réalité, elle reflète l’ultraviolet. Jaune + ultra-violet donne une couleur particulière visible par les insectes, que les scientifiques appellent «pourpre des abeilles».» De plus, la fleur présente un gradient croissant d’ultraviolet de la périphérie jusqu’à son centre, les insectes sont donc naturellement guidés là où la fleur entrepose le nectar.

Mais les plantes peuvent aussi communiquer et séduire les insectes par voie chimique, en élaborant et diffusant des composés odorants qu’ils peuvent percevoir à une distance importante. C’est d’ailleurs une des approches qui a été explorée dans une étude publiée récemment dans Annals of Botany,[3] pour expliquer comment deux espèces sympatriques de figuier (deux espèces issues d’une même population initiale et donc présentes dans la même aire de distribution géographique où des interactions entre elles peuvent avoir lieu) pouvaient développer une pollinisation spécifique avec deux guêpes différentes. La composition du parfum des fleurs de ces deux espèces serait différente, permettant de présenter une attractivité différente pour l’insecte privilégié. La spécificité de la relation plante-insecte pourrait donc avoir un rôle dans la spéciation (création de nouvelles espèces), et ainsi dans l’augmentation de la biodiversité.
Un autre mode de communication découvert plus récemment est l’électromagnétisme. Les insectes en vol sont chargés positivement tandis que les fleurs le sont négativement. Une équipe de biologistes de Bristol[4][5] a montré qu’un bourdon, Bombus terrestris, identifie certaines fleurs de cette manière : lorsqu’il s’approche de la fleur ou s’y pose, le potentiel électrique de la fleur est modifié pendant un court instant par induction électrostatique. Ces modifications pourraient être perceptibles par d’autres individus pour identifier les fleurs déjà visitées ou visualiser des formes liées aux champs électromagnétiques.
Qui vous a dit que le physique ne comptait pas ?
Et mieux vaut être original ! Un cas très célèbre fut présenté en 1862 à Charles Darwin. On lui apporta une orchidée très particulière, Agraecum sesquipedale, possèdant des nectaires au fond d’un tube long de 30 centimètres situé sous la fleur. En bon connaisseur des mécanismes de la pollinisation, Darwin émit l’hypothèse qu’il devait exister un papillon avec une longue trompe. Cette hypothèse resta longtemps critiquée par ses pairs, jusqu’à ce qu’on découvre en 1903 un papillon muni d’une trompe de 22cm, qui fut baptisée Xanthopan morgani praedicta, en hommage à cette fameuse prédiction. Cette longue trompe aurait pu être acquise par des modifications graduelles dans les anatomies des deux espèces pour coévoluer ensemble vers un système de pollinisation spécifique.[6]

Mais qui dit couple peut également dire tromperie, et les fleurs ne s’en privent pas !
Celles-ci ont développé toute une série d’astuces pour être efficacement visitées par des pollinisateurs sans avoir à produire de nectar, coûteux en énergie. Mais ces astuces, résultant de l’évolution, sont sans cesse menacées par l’adaptation des insectes qui par la sélection et l’apprentissage finissent par découvrir la supercherie. Ainsi ces orchidées mimétiques récemment découvertes[7] ont adapté leur morphologie pour ressembler à une autre espèce productrice de nectar et donc très appréciée des insectes, paliant le fait qu’elles n’en produisent pas. Le mimétisme est un mécanisme découvert par Darwin (encore et toujours…) et qui a été observé à de nombreuses reprises par la suite.
D’autres fleurs misent sur la séduction : elles ont pris la forme des individus femelles d’une espèce d’insecte. Ceux-ci tentent alors de s’accoupler avec la fleur, sans grande réussite, ce qui a pour conséquence d’agiter les anthères qui peuvent libérer leur pollen qui ira se fixer sur le corps de l’animal trompé et qui tentera sa chance sur une autre fleur, qu’il aura le plaisir de polliniser (bien malgré lui, d’ailleurs). Cependant cette technique n’est valable que pour les individus jeunes, les chercheurs ayant remarqué qu’une forme d’apprentissage s’opère : les insectes plus âgés qui se sont déjà fait bluffés auparavant ne se font pas avoir deux fois !
Ainsi vous voilà donc exposées les péripéties d’une relation remarquable développée par insectes pollinisateurs et plantes à fleurs. Aussi nous vous ferons découvrir dans notre prochain article le lien intime qui s’est créé au cours de l’évolution et a débouché sur des situations pour le moins originales… Affaire à suivre !
Images
Bombus terrestris. Photo by Gennaro Pascale Caicedo. [cc]by-nc-nd/[/cc] Butterfly. Photo by Amy Lloyd. [cc]by-nc-nd/[/cc] Evening Primrose. Photo by Dean Gugler. [cc]by-nc[/cc] Monarch Butterfly. Photo by Kevin Cole. [cc]by[/cc]
Bibliographie
- Harry M. 2008. Génétique moléculaire et évolutive 2e édition. Maloine. pp 379-380
- Albouy V., Les fleurs parlent aux insectes , http://www7.inra.fr/opie-insectes/pdf/i133albouy.pdf
- Wang G., G. Compton S-G & Chen J., 2013. The mechanism of pollinator specificity between two sympatric fig varieties : a combination of olfactory signals and contact cues, Annals of Botany 111: 173-181. DOI: 10.1093/aob/mcs250
- Morin H., Le bourdon électrifié par les fleurs http://www.lemonde.fr/sciences/article/2013/02/21/le-bourdon-electrifie-par-les-fleurs_1836608_1650684.html
- Clarke D., Whitney H., Sutton G. & Robert D. , Detection and Learning of Floral Electric Fields by Bumblebees, Science 340 (6128). pp. 66-69. DOI: 10.1126/science.1230883
- Le sphinx et l’orchidée (l’évolution prédictible), http://www.docsciences.fr/Le-sphinx-et-l-orchidee
- Vale A., Rojas D., Acanda Y., Sanchez-Abad N-L. & Navarro L., 2012 A New Species of Tetramicra (Orchidaceae: Laeliinae) from Baracoa, Eastern Cuba. Systematic Botany 37(4): 883-892. DOI: 10.1600/036364412X656491